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« Histoires & Condiments » se fera avec l’aide de Pascal Pacaly (Auteur de « Rock Attitude »)

1982/1992

Thonon-les-Bains. Avril touche à sa fin, les parpins du Port de Rives reflètent à merveille un ciel de plus en plus long, une belle journée mais aujourd’hui je vais au taf comme depuis ces 6 dernières années mais je vais sûrement prendre le virage le plus important de ma vie.

Une ville que j’aime, une ville où je suis né, Rue Saint-Sébastien, un 09 Mars 1971, c’était ma mère ou moi, nous nous en sortîmes tous deux et depuis ce jour un lien invisible mais O combien solide allait se tisser jusqu’à ces jours où je suis en train de coucher ces lignes, 09 Mars 2013. Sylvie de son prénom n’est pas présente quasi immédiatement suite à un complexe de fils fou de sa mère, non. Je suis fou de ma mère. L’importance de citer la matrone tient au fait que je lui dois la musique, ma vie, le soutien de mes choix et ce, depuis mes 11 ans. C’est elle qui m’a acheté un mange disque à 4ans, à 9, j’écoutais Téléphone et AC/DC, cela me permettait de dire honnêtement à mon père que je ne comprenais pas son engouement pour Nana Mouskouri ou Jacques Lanthier. La musique gitane aussi, omniprésente, entre Flamenco et Swing, donnait à ma mère une aura incroyable, c’est la Sainte Sarah à moi, ma vierge noire, ma flamme.

Je travaille comme coloriste-styliste chez Jacques Dessange, place Jules Mercier, le salon bourgeois de la bourgade de 30 000 âmes qui m’a porté jusqu’à mes 21 ans. J’habite 2, Rue des Granges avec un pote d’enfance, Christophe Brothier. Le lascar est dans le salon de notre appart et ce 26 Avril 1992, je rentre inhabituellement à 15h, ce qui surprend mon compère qui s’empresse alors de me lancer

–          « Mais qu’est-ce que tu fous à cette heure ? Y’a embrouille au taf ? »

–          « Ouais ! » ai-je rétorqué tout bonnement.

Parce qu’il le savait mon pote, la coiffure, ça commençait à me gonfler de façon de plus en plus concrète. Je ne vais pas faire long sur le pourquoi du comment mais le fait est que, ce jour-là, j’ai rendu les peignes, bien décidé à entamer une vie pré-testée quelques mois auparavant, celle de musicien. Alors oui, j’ai attendu l’instant propice où le grand patron dont je suis l’assistant pète un câble et hurle sur ses 9 coiffeurs pour rendre la blouse, en même temps, il le sait Georges Reynaud, il le sait que je vais faire de la musique. Il a été lui-même musicien, dans le jazz, et ce mec m’a fait découvrir des univers musicaux jusqu’alors inconnus et a grandement participé à m’éduquer dans certaines sphères, je l’en remercie. Je le remercie, ok, je n’aurai pas d’indemnité et si ! Je me barre bien sur l’instant, là, de suite, maintenant, j’ai une autre vie à rattraper. Il ne comprend pas de tout de suite, mais il a comprit, nous nous sommes revus depuis et j’ai toujours grand plaisir à revoir ce Monsieur. Et vous verrez que la vie va me faire revenir faire une halte quelques années plus tard dans la bulle « mode », je suis sûr que je l’ai écrit plus loin.

11 ans, déjà, yes ! On vient d’emménager à « Ma Campagne », résidence d’immeubles où mon adolescence va être juste fantastique et pointillée d’aventures abracadabrantes, c’était magique. J’y ai rencontré en autre Christophe Brothier, le killer qui faisait 2 bornes en roue arrière, à la « wheeling » men et qui était un sacré bastoneur, toujours là quand il ne fallait pas le gredin, on a grandi ensemble.

Ma mère avait reçu un manteau de cachemire beige de la part de mon père, absolument magnifique, un de ces manteaux cousus mains qui subliment les femmes même si elles ont des Moonboots aux pieds. Un travail de forçat que celui de fondeur, mon paternel aura usé ses poumons 43 ans dans la même boite, d’où mon rapport toujours gêné parlant de l’achat qui va suivre. On arrive, Rue Carnot, chez Batal Musique, la caverne d’Ali Baba. Depuis des années, dans ce magasin de musique à l’angle de la place Henri Bordeaux qui jouxte la Mairie, je vois les artistes du coin venir jouer de la gratte pendant des heures, de la batterie,du piano, faire marquer et repartir avec un instrument, bref, nous on était venu payer cash ma première batterie, avec le manteau de ma mère vendu quelques jours avant.

–          « T’inquiète, ton père, je gère » me dit-elle en me passant la main dans les cheveux.

Cette ancienne clarinettiste Sallancharde qui faisait du ski avec Sacha Distel, pas dans les oreilles, à côté de Monsieur Sourire, m’offrait tout simplement un truc incroyable, l’accès au bruit, et à la musique dans un deuxième temps, j’y comptais bien et je devais ça à ma mère depuis ce jour aussi.

Comme tous les jeunes issus du milieu très-ouvrier, je n’avais pas le choix, si je me faisais virer du Lycée La Versoie, fallait que j’aille au taf, « on n’est pas Rotchild ». Ca tombe bien, en Mars 1986, alors que j’ai presque deux ans d’avance en classe et que je cartonne en français, langues, au détriment cela va de soi de toute logique mathématique, je te le donne en mille, je me fais virer. Gallay Out.

Fan de Robert Smith du groupe dark wave The Cure, j’ai les cheveux crêpés avec une touffe à faire pâlir Tina Turner, des Reebooks blanches avec un pantalon de costard noir,droit et la chemise blanche trop grande, mise bien de travers à la one again. Ah oui ! J’allais oublier, le noir aux yeux, ça tue sa maman ça. Alors Monsieur Jourdain, allure digne et l’air coincé, Proviseur de l’Etablissement, sans desserrer les dents m’avait prévenu, si je ne me démêlais pas les cheveux d’ici quelques jours, vu les 3 avertissements (oui mais bon, des histoires de murs et de jeunes filles, comme tout-un-chacun), je ne pouvais plus espérer passer mon Bac, et dans aucun lycée de la région d’ailleurs !

Le truc magnifique, c’est que ma mère, rock and roll mama, elle n’a pas aimé lors du rendez-vous final avec le Directeur, Monsieur Mayade, que ce dernier, ancien militaire aigri avec un accent du Sud (mais du mec qui a jamais trouvé sa vraie place entre Bordeaux et Montpellier) balance à ma mère d’un air forcément dédaigneux :

–          « Quand on voit la mère, on s’étonne pas du fils ! ».

Gagné Monsieur Mayade, destruction de bureau avec MON sac de bahut, en toile de l’armée, celui flinguait bien les bouquins, moi qui essayait d’en prendre soin et tpar MA mère qui tétanise les deux cinquantenaires qui pensaient faire office d’autorité. Trop fier, on se casse, elle lui dit d’aller se faire mettre, elle voulait surement dire Maître. Plus tard, Monsieur Mayade m’écrira me voyant tourner dans toute la France avec Café Bertrand, je lui ai répondu d’aller se faire foutre, je réitère si il me lit.

De retour à la maison, j’en mène quand même pas large et là, encore une fois, elle me surprend et me dit avec une logique venue de je ne sais où :

–          « On t’emmerde toujours avec tes cheveux, t’es bon à l’école, tu passes ton Bac par correspondance et je te fais rentrer chez Jacques Dessange à Thonon, « en ville », essaie coiffeur non ?.

–          « Ben…mmmmm….OK Moum ! Je veux bien essayer écoute… »

Je fais trois jours d’essai après avoir calmé mon père, qui ne s’énervait jamais d’ailleurs, mais disons rassurer pour trouver le juste verbe et fra, je suis prit, je veux faire Coloriste, ça m’a fait tripé cette poésie de couleur, ça me fait penser à Goethe et son Traité, être maître de la matière. J’allais exceller en la matière pendant les 6 années à venir, cela me permit à 17 ans, de prendre mon premier appartement, avec mon pote, Reynald Sabatier, qui lui se faisait chier chez Thompsons à checker des néons à la con. On allait faire musique en même temps que nos apprentissages. Ce fût le début de Café Bertrand, en Février 1991, au deuxième étage de la montée 11 de La Cité de La Versoie, coin assez mal famé où bien sûr, on connaissait quasi tout le monde au bout de deux mois, des « zicos », tu parles Charles.

J’avais abandonné la batterie, après quelques années de pratiques, j’étais même chanteur-batteur,aléatoire, le roi du franglais avec un accent à rendre jaloux Renaud. Je voulais chanter, mais bien, et faire de la guitare et de l’harmonica, comme Bertrand Cantat de Noir Désir dont on est purs fans avec Reynald. Putain, personne ne connait ce groupe à part nous qui l’écoutons depuis 1987, incroyable, les choses allaient changer pour eux, et une nouvelle voix s’offrait à moi, une voix de garage peut-être, qui ne tentait rien n’avait rien disait-on, nous allions respecter le vieil adage.

Trois mois enfermés à la maison dès qu’on avait fini notre boulot vers les traditionnelles 19 heures. Les albums de Noir Désir, le 1er, un 6 titre avec un son étriqué au possible mais à l’époque pas si mal que ça, mais ce sont les textes, l’attitude générale de ce rock là qui se chantait tantôt en français, tantôt en anglais qui me plaisaient. On a apprit par cœur à la guitare une douzaine de titres de Noir Désir, dont Où veux-tu qu’je regarde, j’ai fait de même avec le chant et l’harmonica, pas pour rien qu’aujourd’hui je joue avec Les Ecorchés, Tribute à Noir Désir monté en Décembre 2012 avec mes potes Fred Latarsa à la gratte et Alain Pérusini, bassiste de Café Bertrand de 2004 à nos jours, tout se recoupe toujours, merde, je suis en train de revivre ma vie, heureusement, je n’ai aucun psy qui me suit, et croyez-moi je guette. Il est vrai qu’en écrivant ces lignes je me dis que je respire à nouveau mes jeunes années au travers de ce tribute, méa culpa. Finalement vous me mettrez deux psys pendant 6 mois svp, merci.

On a fait nos premiers concerts officieux dans « la villa de Vince » à Corzent, au bord du Lac Léman, majestueux et indispensable au paysage Haut-Savoyard. C’était un ami biker qui devait avoir 20 plombes aussi, il organisait des soirées et avait invité plein de potes un Samedi, on a joué dans le salon, je massacrai la batterie, Pat dit Rocky en guest à la basse, et Reynald. A trois, on faisait style les Doors, le titre machouillé pendant 2 plombes « comment baybi lac maille failleur », ça le faisait, on s’est fait un petit nom, ça a duré quelques mois et puis il a fallut passer aux choses sérieuses.

Christophe me balance « Bon ben mec, c’est chaud comment on va faire p’taaiiin » alors je tombe dans le facile, mais pas tant que ça, et on deale du shit à deux ou trois potes, le soucis, c’est qu’on fume tout avant que ce soit vendu. On ne peut décemment pas continuer comme ça, on va tafer ici ou là, avec parcimonie, juste assez pour survivre et pouvoir commencer à s’occuper du groupe.

Heureusement quelques belles opportunités comme le cambriolage de notre cave nous a rapporté à l’époque 10 000 francs, je me souviens m’être dirigé direct m’acheter un cuir, une guitare Fender Stratocaster signature 25eme anniversaire U.S svp !!! Et à crédit j’achète un Twin Reverb Fender 100W tout lampes, le bonheur quoi !

Nous avions bien retapé tout le local que le Théâtre de la Toupine, en la personne d’Alain Benzoni, nous passait gratuitement pour répéter. 60 m2 sous terre, sous la Rue des Italiens, juste devant l’Ecole de Musique Municipale. Après avoir galérer de garages en chambrettes, de salons en garages, on avait enfin notre local. Beaucoup de boulot puisqu’il a fallu tout déblayer, pneus, gravats, et autres choses lourdes et sans prises évidentes. Et nous montions un dossier de subvention à la mairie. Café Bertrand existait depuis 1 an, il fallait concrétiser. Le groupe fût mit sous forme d’association 1901, ce qui nous permît d’accéder aux subventions, entre autres.

Christophe était délégué Manager du groupe, il fallait trouver des dates, j’allais l’y aider, depuis ce jour, j’ai toujours calé la quasi-totalité des dates de Café Bertrand.Il avait un autre rôle celui de chauffeur et de mécanicien, car pour faire les choses bien, plus tard, il faudra bien acheter un camion de tournée. Mais pour l’instant nous en étions au stade de la discussion avec la Mairie de Thonon-les-Bains qui nous avait programmés à la Fête de la Musique 1992 sur le Square Aristide-Briand et même sur la Rue des Italiens à une autre heure. Je me suis très vite rendu compte que le buzz était important, je sortais du Lycée de La Versoie où si je ne connaissais pas les 1600 élèves de l’établissement, les ¾ me connaissaient, alors avec la présence de Reynald Sabatier à la guitare, Jérémie Foudral à la basse et Mike Pelletier (le fils du directeur de l’école de musique, Daniel Lemarc), on rameutait les foules, on nous attendait de pied ferme et cela tombe bien, ce fût le début de tout, de gros chagrins mais aussi d’immenses joies.

Le chagrin frappe ce 21 Juin 1992 à 21h, nous sommes presque sur scène, nous ne savons pas, des amis, dont Salem, fêtent leur bac que moi j’ai eu par correspondance d’ailleurs à La Pinède, vers la Piscine Municipale. Un endroit propice aux fêtes en tout genre. Là, c’est un Georges MachinTruc, sans permis, bourré, qui part en live dans le virage où mes potes engagent leur bonne humeur en ce jour d’Eté attendu comme La date et les fauchent comme des fétus de paille. 6 sont morts sur le coup, Salem a mit plus de temps, 20 minutes environ, pareil pour la 8eme victime auquel je pense encore souvent. Je te jure que ça te rend prudent au volant ça, c’est peut être pour cela que je n’ai pas eu d’accident grave sur la route en étant conducteur, jamais, en plus de 20 piges de permis, ça a aura au moins servi à épargner ma pauvre vie.

Le square Aristide Briand est sous la pluie battante. Le Dauphiné Libéré titrera le lendemain « Mélodie sous abri » car la plupart des gens se serraient les uns contre les autres à l’abri des devantures des boutiques qui entouraient le Square. J’étais en rock star, futal de cuir noir, gilet en cuir noir, chemise grise et foulard à la Richards, fallait assurer Ceci n’a pas freiné Café Bertrand qui avait un public venu le voir pour sa toute première, plus de 2000 personnes étaient là, des filles au premier rang nous jetaient des roses, la belle Caroline je me souviens, le public scandait au groupe d’en rejouer une et nous avons fait un véritable carton. J’ai vomis dans le camion des techniciens, juste avant de monter sur scène, de trouille. A la Jacques Brel pour les puristes du vomissement. J’ai eu ce même rituel jusqu’au 26 Mars 2006 au Hard Rock Café à Paris, tout simplement en prenant conscience qu’il fallait que je crois en moi, mieux que ça. C’est un jour gravé à jamais dans ma mémoire et à chaque fois que je repense à ce moment, je suis envahi d’une sensation superbe, accompagné d’un sourire que vous seul êtes capable de saisir le sens.

Au Bar de la Régence, face à la scène, notre QG. Je rencontre plein de gens, félicitations, génial les gars, je suis sur une autre planète, vous avez passé un disque pendant qu’on jouait ?

Le mec du Dauphiné Libéré m’interpelle au comptoir, première interview, presque. Et puis ce Christophe qui tient le RockLand à Annecy, à Cran Gevrier plus exactement, à 60 kilomètres de Thonon-les Bains qui veut nous programmer juste 7 dates. On discute tarifs, conditions, 1500 francs par concert, on commence le mois prochain. Elle est loin cette époque où les programmateurs pouvaient aider n’importe quel artiste, du moment qu’on lui trouve un quelconque talent, les gens étaient aussi beaucoup plus curieux qu’aujourd’hui, il est vrai que ce n’est pas avec le Minitel qu’on allait discuter en réseau et trouver la femme de sa vie. Tout passe. C’est donc aussi mon 1er contrat en temps que leader du groupe, quand je vous disais que cette journée était à marquer d’une pierre ! J’ai sympathiser avec Gilles Vesin sur le zinc aussi, batteur du groupe So What, musiciens expérimentés qui tournent pas mal, fusion,jazz et il se trouve que c’est un fan de hard et un fan de rock, il sera batteur de Café Bertrand pendant 13 années, nous allions partager l’appart de son père, face aux trains et à un immense rond-point mais théâtre de créations musicales certaines, nos pensées vont encore aux voisins de l’époque…. »

3 réflexions sur “Mon bouquin > Extraits

  1. Merci pour le partage Walther , et pour la petite histoire « Jacques Brel  » 😉
    Il a déjà sa place réservée dans ma bibliothèque 🙂

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