J’avais déjà pu apprécier le projet sophocléen « Choeurs » en album, n’ayant jamais eu la chance de rejoindre le théâtre de Namur où Bertrand Cantat donnait plusieurs représentations en Mai 2014 et j’avoue être assez fan des talents d’adaptation et d’orateur du chanteur de Détroit qui là aussi, vous le savez, exhibe un homme nouveau, jamais pressé, prenant le temps de vivre la scène à plein poumons, les yeux rivés dans le talent et partageant tout avec son public. Cette énergie.
Le 25 Septembre dernier, j’avais mon billet pour la représentation de Condor « live », adaptation du polar de l’auteur émérite français Caryl Ferey. Ce dimanche je l’attendais avec impatience et le destin a voulu me filer un coup de main, ma bonne étoile va savoir, les copains aussi. 17 heures, je suis avec mon pote Sylvain,on s’apprête à rejoindre le théatre manosquin Jean Le Bleu où le spectacle est annoncé pour 18 heures quand fît irruption dans mon salon le tenancier du Kfe Quoi Bruno Lévi.
« Walth ! Bertrand a oublié son harmonica à Pau hier et là il est dans le jus, tu peux lui en prêter un ? Je te file le numéro de Maya (une amie commune) qui est déjà sur place ». Tu penses bien que ni une ni deux, je prends ma ceinture d’harmonicas, ne sachant quelle tonalité il devait avoir, dans le doute, j’ai donc tout prit et nous voilà partis à Manosque.
Arrivés sur place, énormément de gens sont déjà devant, un public représentant tous les âges, 700 personnes, 699 exactement, à une entrée près, c’était blindé 😉
Une sécu assez conséquente est à l’entrée. J’aperçois Maya et discute avec, arrive Stéphane Gondrand, régisseur du théâtre et ami depuis quelques années, il avait officié au son avec Café Bertrand. Bertrand n’est pas revenu de son hôtel m’informe-t-on et je donne donc ma ceinture d’harmonicas à Stephane qui va lui poser en loges. Sur le moment, je me suis dit que j’allais pas pouvoir le voir, ils allaient pas me la faire à l’envers quand même et puis, j’avais amené quelques vynils (très) collectors de Noir Désir (test-press 30 cm, 10 exemplaires en France, maxi 45t le vent nous portera avec moryin moryin en face B pour les connaisseurs, et un 45t promo de 89 avec les dates de la tournée dessus) et Détroit (album vynil des acoustiques), Choeurs, bref, de la pièce j’te dis !
Alors c’est tout cash que je dis à Stéphane de prévenir Bertrand que c’est moi qui ai amené ses putains d’harmonicas, il me connait, il connait mon groupe, on a quand même ouvert plusieurs fois pour Noir Désir à l’époque. Le tout accompagné d’un regard qui ne pouvait qu’appuyer la requête, il me promit de tout faire pour que je puisse le voir backstage, les visites en loges étant à la base interdites sur ce concert.
La salle est pleine, mon pote Sylvain est entré dès le départ nous réserver 5 places au deuxième rang. Mon ami et bassiste Alain Perusini arrive, accompagné de sa douce Sonia et une amie, Sandrine, qui nous accompagne également. On s’installe, je trépigne d’impatience. Je suis placé on ne peut mieux, au 1er siège de la 2eme rangée, je suis à trois mètres j’te dis !
Une silhouette arrive sur scène et le public acclame mais c’est l’auteur Caryl Ferey qui arrive « désolé pour vous, ce n’est pas Bertrand Cantat mais l’auteur de Condor »
La salle ressert une salve d’applaudissements nourris. Un humour évident, une simplicité flagrante, un talent indéniable, les 10 minutes passées à écouter cet auteur passèrent trop vite. Quelques explications sur le polar, le Chili, le colosse aux mains cassées, Condor, Ah oui, les remerciements en direct par l’auteur pour « le musicien qui est venu à l’arrache pour dépanner Bertrand d’un harmonica ». « Il est là!!! » hurlent de concert Sonia et Sandrine, on est repérés direct.
L’auteur se retire et la scène noire à peine éclairée de quelques lumières bleues accueille le trio Cantat, Sens à la guitare et Manusound aux machines et à la basse sur un titre ou deux.
Le chanteur est un orateur. Une arrivée calme même si très applaudie, pas un mot, il s’assoit, une grande respiration, le spectacle commence.
Alors je ne vais aucunement décrire les chapitres déclamés et jetés à terre à chaque page par un Cantat grandiose, par ses musiciens magnifiques, des climats qui rappellent ces ambiances envoyées par Tessot-Gay à l’époque de Noir Désir parfois. Un archet de violon, une finesse dans le jeu et dans le choix du son, ce Monsieur Sens était au top ! Manusound aux machines assène des mouvements secs et rythmés à une souris qui n’avait rien demandé mais qui est quand même allé chercher des sons se mariant parfaitement avec ceux du guitariste, pari réussi, le climat était magique, enivrant, Cantat a encore été surprenant et le public ne s’y est pas trompé. À vous de le découvrir en live ce Condor, d’apprécier l’envergure de ses ailes déployées, à vous de le voir ce phœnix.
Standing ovation après 1h00 et des brouettes de show. Le sourire s’imprime sur le visage du chanteur qui salue avec ses musiciens rejoints par l’auteur, tout un théâtre n’arrêtant pas d’applaudir.
La salle se vide petit à petit et nous sommes dans les derniers à sortir et je vois Stéphane Gondrand qui me dit « je viens te chercher dans quelques minutes ». Mon pote, notre amie et sa fille venue rejoindre sa darone en profitent, on passe derrière 5 minutes plus tard, et nous voilà dans le couloir des loges. Bertrand apparait.
-« salut Bertrand ! »
-« ah mais c’est toi qui a amené les harmos ?! Entrez je vous en prie ». Ouf, il a reconnu ma gueule, ma grande peur est toujours de passer pour un fan de base, trop envahissant mais qu’on doit quand même recevoir parce que. De plus, je n’amène jamais de disques à signer, je ne l’ai même pas fait en ouvrant 40 fois pour Deep Purple, mais là..
Un Bertrand toujours imposant de talent et de carcasse, un jour, un mec avait écrit de moi « un auteur à l’âme d’enfant étonné » et ben je trouve que cette phrase lui convient encore mieux. On a pu parler littérature et musique avec le temps nécessaire pour parler bien des choses. Mes amis mitraillaient discrètement, « avoir des photos avec nos deux chanteurs préférés c’est pas tous les jours ! » me diront-ils sur la route du retour.
J’ai pu lui faire signer les vynils amenés sur place dans mon pitoyable sac plastique noir auchan et j’étais ravi de le voir étonné cet enfant, à me dire « putain mais même moi je les ai pas ceux-là, comment t’as pu trouver ça ??». J’ai immédiatement pensé à mon grand ami et producteur Michel Mage qui a pu m’avoir ce test-press de 66666667 club, ce 45 tours promo rouge, etc. « Bertrand, j’ai TOUT de Noir Désir, y compris le moindre article de presse depuis 87 donc tu penses bien que les albums, même introuvables, je les trouve ». Rires.
Après une belle discussion où lui-même répondit au régisseur du théâtre « non le café bertrand c’était le bar de flore à paris avant, le nom de leur groupe vient de là » , j’ai halluciné.
Il prit en mains les deux albums de Café Bertrand « les airs empruntés » et « les mains dans l’encre » , en attendant l’arrivée du petit dernier « QU4TRE » (en cours aujourd’hui) et puis mon album solo « Stigmates »en me jurant de les écouter, tu penses bien que CafB en 1ere partie de Détroit ça pourrait le faire terrible ! » et ça mettrait fin à « ils ont la même voix », que dalle, et j’espère donc qu’on pourra le démontrer un jour en live. Qui vivra verra. Ça c’est fait !
Le seul bémol à cette histoire est que Alain et Sonia qui étaient déjà partis au bar ont raté le coche sinon ils rentraient avec moi.. Ce n’est peut-être que partie remise !
En sortant, j’ai aussi acheté le bouquin de Caryl Ferey bien sûr, dédicacé par l’auteur « pour l’homme qui sauva l’homme qui… » , ainsi que « De Noir Désir à Bertrand Cantat » de Pierre Mikaelof , un ex Désaxés , écrivain et biographe, à lire absolument aussi.
Il est rare que j’écrive des billets comme celui-ci mais comme j’ai dit un jour à Paris à Bertrand alors qu’on se croisait après un concert à l’espace Jemmapes en 2011, si j’ai fait du rock En français c’est à cause de deux gars, lui et Hubert Félix Thiefaine. Chacun sa légende, la mienne était là à côté de chez moi et le destin a voulu que cette rencontre se fasse. Je me rappelle être allé me pieuter comme un môme de 12 ans, des étoiles plein les yeux. À nos étoiles.
Walther Gallay